mardi 26 janvier 2010

leçon N° 7 : Quand la théorie vient au secours de la pratique

Commençons par préciser un point qui me semble important. Quand on s'intéresse à la communication on trouve généralement des schémas qui modélisent le processus communicationnel. Le schéma présenté ci-dessous est un exemple souvent cité. Mais il faut insister sur le fait que ce schéma dit de la communication n'est qu'un essai de modélisation de la communication. Il ne faut pas l'envisager comme beaucoup le font trop souvent comme LE MODÈLE de la communication. Il emprunte à plusieurs théories que je vais succinctement rappeler ici.
Les chercheurs ont souvent produit des modèles pour expliquer la communication. Chaque modèle est lié à un contexte, à une époque et à un projet scientifique différents. Ce modèle agit selon Alex Mucchielli comme " un mécanisme perceptif et cognitif différents qui transforme la réalité en représentation." Il permet d'en voir certains aspects mais il en occulte également d'autres, ce qui fait qu'il n'est pas envisageable de penser à Un modèle unique de la communication mais à des modèles.
La base de ce schéma est constitué par le modèle du télégraphe encore appelé modèle mathématique de l'information selon Shannon. La théorie mathématique de la communication est née de la télégraphie et de la cryptographie, des efforts de l'ingénieur électricien Claude Shannon. Il chercha des réponses à la question suivante : Comment faire circuler le plus grand nombre de messages en un minimum de temps et cela sans perte?
Ce schéma est linéaire et on trouve deux pôles qui définissent une origine et une fin, la communication repose alors sur une chaîne de constituants : source, émetteur, canal, récepteur et destinataire. La source d'information produit un message (la parole au téléphone), l'émetteur ou encoder qui transforme ce message en signaux afin de le rendre transmissible (le téléphone qui transforme la voix en signaux électriques), le canal qui est le moyen utilisé pour transporter les signaux (câble), le récepteur ou decoder qui reconstruit le message à partir des signaux et le destinataire qui est la personne à laquelle le message est transmis.
Donc ce schéma devient le suivant si on l'applique à la communication orale.
L'objectif de Shannon était de dessiner un cadre mathématique à l'intérieur duquel il est possible de quantifier le coût d'un message, d'une communication entre deux pôles en présence de perturbations aléatoires dites "bruit".
Le présupposé de la neutralité des instances émettrice et réceptrice s'est ainsi trouvé transposé dans les sciences humaines qui se sont réclamées de cette théorie. Or Shannon ne tenait pas compte de la signification des signaux c'est-à-dire du sens que lui attribue le destinataire.
Weaver viendra compléter à cet effet ce modèle.
On finalise ce schéma en faisant appel à Norbert Wiener qui fut le professeur de Shannon. Wiener s'est imposé comme le père de la cybernétique que l'on peut présentée comme la science des machines ou de l'organisation. Il fonde sa réflexion sur le principe de la supériorité du tout sur les parties : chaque élément d'un organisme est fonctionnel et doit contribuer au maintien de l'ordre biologique global. Il introduit un processus de feed-back ou rétroaction, ce qui change la situation car un correcteur permettra ainsi de corriger une erreur ( de tir dans l'ajustement des tirs anti-aériens de DCA pour lequel Wiener était mandaté). Cela s'apparente dans le schéma de Shannon à un mécanisme de réduction du bruit, lui-même assimilé à l'incertitude.
Ce que l'on peut résumer par un schéma emprunté à Mucchielli.
La notion de référent vu dans le premier schéma fait, quant à elle, référence au modèle linguistique de Jacobson.
Dans cet article nous avons donc vu que le schéma de la communication était en fait un modèle "bricolé" à partir d'autres modèles. Il ne faut pas oublier non plus qu'il en existe d'autres comme celui de l'orchestre ou du double flux de l'information ou celui plus connu dû à Lasswel qui, avec sa fameuse question programme ("Qui dit quoi par quel canal avec quels effets") fut à l'origine de longues recherches sur les effets des médias sur les masses .

Si on reprend le premier schéma, dit du télégraphe, on comprend aisément ce qu'il peut nous apporter en tant que professionnel de la prise de parole en public. Si nous souhaitons que notre message soit intégralement reçu, nous devons veiller à éliminer tous les types de bruit, toute déperdition ou du moins essayer de réduire ce bruit. D'où les mises en garde contre les difficultés d'émission, les parasites, les mauvaises conditions qui vont à la fois gêner et l'émission et la réception. On comprend aisément l'importance du feed-back qui va nous permettre de vérifier si l'information est bien reçue, comprise, mémorisée. C'est le b a ba de la prise de parole en public. Ce n'est toutefois pas suffisant car l'apport de Weaver est fondamental car la compréhension est elle-même sujette à des fluctuations difficiles à anticiper. Le récepteur a-t-il par exemple la même représentation mentale que l'émetteur? Mettent-ils le même sens sur ce mot? etc. Car il ne faut pas oublier cette notion de référent auquel va s'ajouter celle de vécu commun. Il est plus aisé de transmettre certains types d'information à quelqu'un qui vient de vivre la même chose que vous qu'à une personne étrangère à votre vécu. Là encore le feed-back est une aide utile pour s'asssurer que l'on parle des mêmes choses ou que ce que vous évoquez ne se traduit pas par un contre sens chez l'autre.
Toutefois ce modèle est incomplet et ne dit pas tout malgré son utilité, et je fais référence à l'école de Palo Alto qui considère que la transmission d'informations n'est pas seule dans la communication mais qu'il faut tenir compte de la relation ce que l'on peut traduire par ce schéma.
On distingue alors le contenu qui est l'information de la relation. Exemple : Je m’approche d’une jeune femme pour lui demander mon chemin (contenu). Ce n’est pas un hasard si je l’ai choisie plutôt que le monsieur à côté (relation).

Perturbation possible : confusion entre le contenu et la relation.
Exemple: Il est possible que je me sois dirigé vers la jeune femme parce qu’elle était la seule présente sur place pour m’aider. Mais, elle peut me mettre une claque, pensant que je la drague.

Il existe également un autre principe, celui de la dualité dans le message. Il y a deux modes distincts et complémentaires :

Digital :lié au langage et à un code; pour communiquer, il est nécessaire que les interlocuteurs aient un code commun (même langue).

Analogique : gestuelle, mimique et posture; ce mode est plus intuitif et reste compréhensible sans dictionnaire !

Perturbation possible : perte ou absence de congruence entre le verbal et le non-verbal; vous pouvez la détecter chez votre interlocuteur. Cela ne vous arrivera pas si vous dites ce que vous pensez et si vous pensez ce que vous dites !

Le troisième principe est celui de la ponctuation des échanges. C’est la suite des échanges dans une communication, une suite de segments et le regard que chacun porte sur le comportement de l’autre.

Exemple : Lui s’enferme dans le bureau parce que sa femme râle; elle râle parce qu’il s’enferme dans son bureau.

Peu importe de savoir qui a raison ou tort, l’important est de comprendre que chacun « ponctue » son échange pour maintenir le système dans cet équilibre.

Chacun fait plus de la même chose, il faut modifier les ponctuations.

Perturbation possible : au premier degré, elle est évidente. Il faut en plus se méfier de la « prédication », ne pas présupposer.

Le mari s’enferme parce qu’il présuppose que sa femme va râler ou la femme râle parce qu’elle présuppose que son mari va s’enfermer. Nous trouvons toujours le moyen de vérifier notre présupposé pour pouvoir dire: « tu vois, je le savais !».

Dernier élément à prendre en compte, celui de la méta-communication. Méta-communiquer, c’est échanger sur sa propre communication au niveau du contenu ou au niveau de la relation.

Exemple: « Si je te dis ça, c’est parce que je t’apprécie. », j’explique et justifie le pourquoi de ma communication. En tapant sur un verre pour obtenir le silence, je « méta-communique » que je souhaite communiquer quelque chose.

Perturbation possible : Ne pas méta-communiquer, ne pas prendre de recul, risque de laisser la communication s’enfermer dans le conflit. Il faut savoir dire : « Il y a quelque chose qui ne va pas. ».

On voit ce que les différents chercheurs peuvent nous apporter mais le nombre de concepts et leur incompatibilité peuvent devenir un handicap. Il n'y a pas une définition du mot communication mais des définitions et les sciences de l'information et de l'information nous confirment ce fait. Elles sont pluridiciplinaires et tentent de nous éclairer sur les phénomènes de communication mais les différentes chapelles peuvent également égarer certains.